La loi Urvoas sur le renseignement s’inscrit dans la dérive antidémocratique de la politique actuelle

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La presse rapporte les grandes lignes du projet de loi que Jean-Jacques Urvoas (PS), enseignant en droit, propose au gouvernement (PS) de faire adopter par la majorité (PS). Cette loi est le dernier avatar d’un phénomène politique, qui joue de la confusion et procède de l’emprise anormale des considérations économiques dans le champ juridique ; pour aboutir à un mépris du droit lui-même.

L’envahissement du droit par des considérations qui lui sont étrangères est la cause des régressions démocratiques. Cette logique trouve dans le “terrorisme” un prétexte pour imposer encore plus vite cette régression du droit, alors que la nature économique du “terrorisme” est occultée du débat et qu’elle permet des moyens efficaces pour le prévenir sans avoir à menacer les droits fondamentaux. La loi Urvoas fait régresser les droits fondamentaux sans que cela soit justifié. Elle témoigne d’une même inspiration et des mêmes effets que la la loi Macron, puisqu’elles emportent une atteinte à la démocratie, une régression que l’on retrouve au niveau européen dans l’accord transatlantique.

Les actes criminels qualifiés de “terroriste” participent à la promotion d’une politique régressive en matière de droits de l’Homme, comme la dette publique sert de prétexte à la régression des droits sociaux économiques et culturels, qui sont également des droits de l’Homme.

L’origine des causes du terrorisme sont dans la manipulations des populations dans les luttes d’influences des blocs. La chute du bloc soviétique a peut-être suspendu l’opposition des blocs mais elle n’a pas éteint les foyers que celle-ci a allumés ou entretenus, voire développés. Les motifs de tensions sont restés avec les moyens et les compétences décuplés qu’ont apportés et transmis des “conseillers“.

La dimension de l’analyse économique du phénomène criminel est peu débattue dans la lutte que prétendent mener les autorités contre le “terrorisme”.

UNE DIMENSION ÉCONOMIQUE LAISSÉE DE COTÉ

Le but de toute activité criminelle est pourtant une recherche de gains, de profits, comme celle d’une activité commerciale, dont elle se différencie par la volonté de s’émanciper des règles de droit, en se plaçant dans l’illégalité.

La criminalité est une forme brutale d’économie, voire de politique, et il n’y a pas d’incompatibilité “économique” entre ce qui est légal, ou paraît l’être, et ce qui ne l’est pas. L’Allemagne a connu un régime politique criminel dont l’économie reposait sur le vol, la spoliation, l’esclavage et la négation de la dignité jusqu’à l’organisation industrielle de la disparition de groupes de population. Cela n’a pas empêché de grandes entreprises, qui prospèrent encore aujourd’hui, de contracter avec ce régime criminel, de faire des affaires et de s’enrichir.

Ce n’est donc pas l’économie qui pose les limites entre ce qui est criminel ou ce qui est commercial, mais bien seulement le droit. D’où la dangerosité à voir aujourd’hui des lois adoptées par et pour des motifs économiques qui font régresser l’efficacité des droits, à commencer par les droits de l’Homme dans les pays riches.

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La régression de l’empire du droit et l’abdication de la rigueur juridique participent à l’extension et au succès des comportements criminels.

La présence de la France au Mali coïncide avec une partie du Sahara qui est un carrefour de trafic de drogues à destination de l’Union européenne (Le Monde diplomatique : Trafic de cocaïne, une pièce négligée du puzzle sahélien, Mali, Afghanistan, les leçons oubliées ; Le Monde : Le Mali, carrefour en devenir du trafic de cocaïne). Ghislaine Dupont et Claude Verlon, deux journalistes de RFI, y ont été assassinés. Le trafic d’armes qui se fait au Nord-Mali est approvisionné par les ventes concédées aux régimes de la région dont le principal acheteur a été renversé par ses fournisseurs. Les troupes françaises ont été envoyées contre les bandes armées qui se livrent à ces trafics, le trafic n’étant qu’un commerce illicite, une contrebande. Le “terrorisme” malien s’inscrit dans la logique de la criminalité organisée internationale qui n’hésite pas à s’inscrire dans les registres du commerce des grandes capitales européennes.

La dimension commerciale de l’activité criminelle des organisations qualifiées de “terroriste” a été confirmée par l’ambassadrice de l’Union européenne révélant que des pays de l’Union commercent avec “l’état islamique“, en s’approvisionnant auprès de lui, notamment en pétrole (Du pétrole de l’Etat Islamique acheté par des pays européens).

Le commerce s’exonère de la politique en proportion avec laquelle l’Etat déserte sa fonction normative. Général Motors décide de fermer ses usines en Russie, non pas en raison du blocus décidé par les USA contre la guerre en Ukraine et les violations du droit international, mais à cause de la baisse de ses ventes (RTS : General Motors se retire de Russie en fermant son usine Opel). Des entreprises ne répugnent pas à faire travailler des enfants, une main d’oeuvre contrainte ou passer par des réseaux criminels pour assurer leurs approvisionnements en matières premières (diamant du sang, du sang dans nos portables). Le drame du Rana Plaza à Dacca en 2013 rappelle celui de la société Triangle à New-York en 1911. Les mêmes causes ont produit les mêmes effets. Le progrès, dans le siècle écoulé entre les deux drames est nul, sinon que le nombre des victimes a été décuplé. Les abus prospèrent sur l’absence de normes.

L’intervention de la France au Mali, pour lutter contre le “terrorisme“, révèle cette contradiction politique d’un discours à invoquer le droit  tout en abdiquant aux réalités du commerce (Algérie Watch : Le président malien accuse l’Otan).

Le “terrorisme” est un objet politique, bien plus qu’un phénomène criminel, qui permet d’entretenir une confusion entre la sécurité, le droit et le commerce. Le terrorisme prospère dans le sillage d’un discours qui réduit le droit à sa théorie, à des déclarations de principes ou de bonnes intentions, au profit du Marché, de l’économie.

CONFUSION DES GENRES

Cette confusion, de l’économique comme prescripteur du droit, a des incidences qui dépassent la seule prévention criminelle, puisqu’elle s’étend à des domaines qui sont licites et sert même de prétexte à la régression des droits fondamentaux, au mépris du droit qui l’interdit.

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L’activité législative montre, qu’au delà du “terrorisme“, la confusion entre l’économique et le juridique légitime l’atteinte à la liberté de la presse ou inspire la consécration internationale de fantaisies, comme le “droit des investisseurs” ; parce que l’argent n’est pas créateur de droit. Il ne peut pas y avoir de “droit des investisseurs” à moins de considérer que le principe d’égalité est caduc et d’admettre que celui qui a de l’argent aurait plus de droits que celui qui en a moins, ou peu ou pas du tout. Cela peut expliquer le discours antisocial au prétexte, en le résumant, que les pauvres coûtent trop chers et justifie l’évasion fiscale.

Swiss Leaks a démontré comment cette confusion l’emporte sur le droit au point d’établir que les mécanismes d’évasion fiscale sont les mêmes que ceux du financement de la criminalité organisée, qualifiée de “terrorisme” (HSBC Suisse abritait l’argent des trafiquants et du terrorisme, selon une investigation vertigineuse). La corruption et le blanchiment d’argent sale mettent en oeuvre les mêmes mécanismes.

Cette porosité de l’activité économique et de la criminalité s’est illustrée dans l’intégration des revenus de la prostitution et du trafic de drogue au calcul du PIB  (Le PIB soutenu par la drogue et la prostitution – Courrier internationalCalcul du PIB : Bruxelles pousse à intégrer drogues et prostitutionLa prostitution et la drogue bientôt prises en compte dans le PIBAu Royaume-Uni, la drogue et la prostitution ont contribué au PIBLa drogue et la prostitution dans le calcul du PIB européenComment la drogue et la prostitution vont réduire la detteDrogue et prostitution augmentent le PIB espagnol de 9%Prostitution et drogue élèvent de plusieurs milliards le PIBLa stupide décision française de ne pas inclure le trafic de drogue et ……).

Les conflits d’intérêts dans l‘affaire du barrage de Fourrogues, construit malgré une décision de justice l’interdisant, et celui de Sivens ayant abouti à la mort de Rémi Fraisse, montrent la diffusion de l’abdication du sens civique au sommet de la pyramide sociale, lequel ne se prive pas de faire la leçon à la base qui n’a pas la même nocuité sociale, comme l’illustre l’affaire des hélicoptères du Kazakhstan ou l’affaire de Karachi. La corruption coûte 120 milliards d’euros par an à l’Union européenne. L’importance de cette somme porte à s’interroger sur la volonté des Etats à lutter contre la criminalité. L’argent détourné qui manque au développement ne fait que confirmer le doute.

Il y a une contradiction grave à entendre des États prétendre poursuivre la criminalité tout en intégrant les résultats de l’activité de celle-ci à leur PIB pour consolider leurs comptes et améliorer leur image financière.  Au-delà du droit méprisé, l’incohérence de l’action politique interpelle par un tel manque de rigueur à servir le bien-être général, qui est le but de la république, comme le consacre le préambule de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : ” afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. “.

Malgré le “hold-up du siècle” (ARTE) – 2000 milliards dans l’UE, 150 en France (ce qui prouve qu’il y a de l’argent et contredit les discours d’austérité) – les Etats libèrent les mécanismes financiers qui contribuent à l’activité criminelle menaçant les populations, ce que les gouvernements ne manquent pas d’invoquer. Plutôt que d’agir sur la réglementation des circuits financiers, les Etats développent un contrôle serré des populations, alors que les moyens des services de police et de renseignement permettent déjà d’identifier les personnes présentant un risque à la sécurité publique.

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LA POLICE IDENTIFIE. ET APRÈS ?

En effet, les frères Kouachi étaient connus (Les deux frères Kouachi connus des services de police), Amedy Coulibaly (Coulibaly a été arrêté puis laissé libre 10 jours avant ses attaques), Mehdi Nemmouche (Les ex-otages français ont reconnu Nemmouche), Mohamed Mérah (Mohamed Merah voulait collaborer avec la police) également, … comme c’était le cas pour certains membres des commandos du 9 septembre 2001 ( (Voir encore : Nice: le suspect connu du renseignement français). La police a les moyens déjà d’identifier les personnes à risques.

En revanche, la police manque de personnels pour faire un suivi efficace de tous les individus identifiés. Comme tous les services de police actuellement, les services de renseignement font face à une surcharge de travail. Et la situation a empiré depuis les attentats de janvier. Il est donc plus confortable de multiplier les moyens techniques, souvent liberticides. Cela permet d’économiser des salaires de fonctionnaires, de faire marché l’économie de la sécurité privée et d’asseoir un contrôle social, policier et politique à l’abri des regards.

Il est urgent de renforcer les effectifs de police mais encore plus de redéfinir les missions qui lui sont assignés, dans le renseignement comme dans l’intégralité de l’institution. La police n’a pas vocation à travailler dans le temps médiatique ni à donner des statistiques pour justifier le travail (ou non-travail) du corps politique. Aujourd’hui, la police travaille dans l’urgence du médiatique et du politique, à contre-courant des besoins des citoyens et en dégradant les conditions de travail des policiers.

Il n’y a pas un renseignement réactif ayant une vision à moyen et long terme mais un renseignement de l’urgence qui se voudrait l’étendard d’un illusoire risque zéro en matière d’attentats. Poster indéfiniment des policiers et des militaires devant des écoles ou des synagogues n’est pas une solution au terrorisme, pas même à ses actions de terrain. Autoriser un renseignement de plus en plus invasif dans la vie privée, et sans contrôle du pouvoir judiciaire, au nom de la sécurité de tous, ne l’est pas plus. Ce sera même contre-productif dans la lutte contre le terrorisme. Cela affaiblira encore plus l’action policière dans les différentes missions qui lui sont confiées et dégradera encore plus les conditions de travail des agents.

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La question que pose le “terrorisme” n’est donc pas tant que la police manquerait de moyens pour identifier les personnes à risques, mais plutôt que la justice n’en a pas pour les réinsérer dans le tissu social ou que l’éducation nationale en manque prévenir le défaut d’esprit critique nécessaire à identifier les manipulations et les embrigadements. les insuffisances budgétaires amènent à s’interroger si l’État veut ou pas une population dotée d’un esprit critique ? Reste que le “terrorisme” est un fait social dont les causes se trouvent dans le pays d’origine de ceux qui s’y livrent. Une politique répressive qui vise à l’exclusion – voire l’élimination – ne peut qu’amplifier le phénomène.

Le projet de loi Urvoas ne répond donc pas à un problème de moyens de la police, puisque les personnes sont connues, mais masque l’absence de moyens de la justice, des services sociaux, de l’éducation nationale, …

Le doute sur la loi Urvoas est d’autant plus sérieux que les auteurs des assassinats de Paris, comme de Toulouse ou de Montauban, étaient connus des services de police, suivis et écoutés. Pouvoir écouter toute la population et pénétrer chez tous les particuliers pour y installer des équipements d’espionnage n’apportera rien et il est possible d’affirmer que c’est inutile. Il n’y a pas et il n’y aura jamais les moyens humains d’exploiter ces données, à moins de transformer la France en clone de l’Allemagne de l’Est. La loi Urvoas n’est plus une question de terrorisme mais de surveillance de la population et elle donne le signe d’un pouvoir qui a peur de ses concitoyens.

UNE LOI CONTRAIRE AUX INTÉRÊTS DES CITOYENS

Cette peur est d’autant plus grande que la loi Urvoas est contraire à l’ordre public, qu’il appartient pourtant aux politiques d’en garantir l’efficacité selon l’article deux de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : ” Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. “. Un député ne peut donc pas voter une loi qui fait échec aux droits de l’Homme, sans violer la Constitution. C’est d’autant moins compréhensible ou excusable avec la loi Urvoas. Le député qui propose la loi est enseignant en droit.

L’obligation du député en 2015 ne se limite aux quatre droits imprescriptibles. Ceux-ci se sont considérablement développés depuis 1789 et plus particulièrement après la deuxième guerre mondiale. La France s’est également engagée internationalement dans différentes conventions qui s’imposent et auxquelles la loi Urvoas fait échec alors que le Conseil d’État consacre la responsabilité de l’État du fait des lois contraires aux engagements internationaux.

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La loi Urvoas rejoint la loi Macron puisque la régression sociale est prohibée par le droit international contraignant en matière économique sociale et culturelle. La convergence régressive de ces deux textes témoigne d’une tendance politique contraire aux valeurs fondamentales de la démocratie.

Cette tendance se manifeste dans les négociations internationales comme l’accord transatlantique, dont le mandat donné à la Commission viole le droit de l’Union, sans qu’aucun élu ne s’empare de cette évidence pour interrompre les négociations. Le souci politique de protéger les plus fragiles a disparu, à commencer par les libéraux qui ont oublié Lacordaire : «Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit».

Les échecs sanglants de Paris, Montauban, Toulouse, Bruxelles, New-York ne sont donc pas dus à un manque de moyens ni à l’inadaptation du droit qui handicaperait l’action de la police. Non. Ces échecs renvoient bien plutôt à la question des compétences au sommet de la police, des choix stratégiques, de l’identification des objectifs prioritaires et de l’affectation des ressources. Il y a un manque de sérieux. L’affaire de la direction de la PJ de la préfecture de police l’illustre. Il y a même eu récidive.

Didier Hassoux expose dans le Canard de cette semaine l’ubiquité d’un fonctionnaire de police dans l’affaire de Tarnac qui fait deux PV daté du même moment sauf que l’un rapporte des faits en Seine et Marne et l’autre à Levallois-Perret, dans les Hauts de Seine (“Deux flics pour le prix d’un” 18/3/2015 p.3). L’article D2 du code de procédure pénale confère à l’autorité hiérarchique, qui ne manque pas de l’invoquer, la responsabilité de la coordination et de la transmission de la procédure. Le genre de négligence que rapporte Didier Hassoux est soulevée dans plusieurs autres affaires sans trouver, jusqu’à ce jour, de recours efficace.

Tout cela conduit donc à la plus grande circonspection sur l’action politique, en général, et la loi Urvoas, en particulier qui, à défaut d’apporter une sécurité meilleure pour les citoyens, permet à la police de les surveiller industriellement. C’est tout le contraire d’un progrès. Ce n’est pas une victoire de l’Etat de droit mais le signe inquiétant d’une capitulation. Comment s’étonner ensuite que l’électorat s’accommode d’un discours stigmatisant l’altérité, au mépris du principe du respect de la dignité, et qu’il vote pour lui ?

Ce n’est pas tant le “terrorisme” qui menace les citoyens que l’abdication de l’esprit démocratique qui préside au sommet des États.

DU FOND ET DE LA MÉTHODE
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Version PDF Loi Renseignement Urvoas Avril 2015

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